La bibliométrie classique, le plus souvent fondée sur les éléments méthodologiques suggérés par le Web of Science de Clarivate (ex Thomson-Reuters), concerne pour l’essentiel les Sciences de la Vie et celles de la Matière. En Sciences sociales, deux disciplines sont mises en avant dans la base de données Highly Cited Researchers de Clarivate : Economics/Business et Psychology/Psychiatry. L’association étroite de la psychiatrie à la psychologie dans un intitulé combiné montre d’ailleurs bien une affinité avec les Sciences de la Vie, voire la Chimie si l’on considère les protocoles de soins liés à la psychiatrie.
La base de données Arts & Humanities Citation Index de ce même éditeur Clarivate, incorporée au Web of Knowledge, n’est pas dotée des modules d’évaluation statistique des publications. Précisément au motif que la méthodologie utilisée dans les deux autres bases du même ensemble (Science Citation Index Expanded et Social Sciences Citation Index) est totalement inadaptée aux Sciences humaines. Et ce, pour deux raisons principales qui conditionnent toutes les autres : l’usage extrêmement fréquent du livre et non du périodique comme support de l’information en Sciences humaines (l’exemple de la France est frappant) et le caractère majoritaire des langues nationales par opposition à l’anglais, rigoureusement de mise au contraire dans le domaine S.T.M. (Sciences, Technologie, Médecine).
Le périodique est, comme son nom l’indique, une publication en série, il est doté d’une immatriculation internationale « générique » (l’ISSN), et se prête donc facilement à une analyse matricielle. Le livre au contraire, est un électron libre, autonome (ISBN unique), de ce fait difficilement assimilable à une séquence répétée d’analyses par lots et statistiquement insaisissable en vue d’effectuer des classements à échelle mondiale. Il existe des myriades de « publications atomisées » en Sciences humaines, alors qu’au-delà d’environ 3000 titres de périodiques triés sur le volet par Clarivate en Sciences sociales (près de 9000 en STM), rien n’est jugé « remarquable » par les tenants de l’analyse bibliométrique classique, sans que cette observation soit par trop caricaturale.
Le grand nombre de langues utilisées en Sciences humaines accroît la difficulté tandis que l’anglais réunit la quasi totalité du corpus STM, le rendant plus apte à sa captation statistique. Certes, d’autres langues sont autorisées en STM, mais à titre tout à fait exceptionnel (exemple : les rares publications d’Académies ou de très grandes sociétés savantes à caractère national) ; de plus, l’alphabet latin est obligatoire, au moins dans les références bibliographiques. Si ce n’est pas le cas du reste de l’article, les chances de prise en compte sont pour le moins ténues.
Pour toutes ces raisons, et d’autres qui sont de nature politique, économique et sociale, le traitement « bibliométrique » en Sciences humaines et dans la majorité des Sciences sociales mérite une présentation spécifique qui fait d’ailleurs l’objet de la formation associée à cette page.
Diverses institutions sont intervenues dans l’évolution des méthodes d’évaluation. On citera celles qui l’ont particulièrement marquée :
- l’Institut national SHS du CNRS, à deux reprises : en 2004 et en 2011, avec un virage méthodologique accentué d’une date à l’autre. En 2008, cet Institut a conçu une base de données des titres de périodiques SHS, intitulée Journalbase. Cf. infra le lien vers le Colloque IN-SHS CNRS "Évaluation des productions scientifiques : des innovations en SHS ?" (juin 2011) qui constitue un tournant très marquant dans ce contexte.
- La European Science Foundation (ESF), depuis 2002, par le truchement du European Reference Index for the Humanities (ERIH) devenu ERIHPLUS lors de son transfert en janvier 2014 aux Norwegian Social Science Data Services (NSD) avec, là également, des changement méthodologiques notables. Cette base liste uniquement des périodiques, eux-mêmes à forte tonalité anglo-saxonne.
- Ces listes thématiques ont été récupérées par l’AERES dans des conditions généralement inadéquates en regard de la recherche française en Sciences humaines. En outre, certaines listes thématiques sont dépourvues de codes alphanumériques de classification hiérarchisée, alors que d’autres en utilisent ou bien mentionnent le titre des grandes bases bibliométriques et bibliographiques indexant les titres listés. Ces listes AERES ont fait l'objet de mises-à-jour irrégulières et espacées. Elles ne figurent plus sur le site du HCERES, à l'exception (en 2018) de la liste Économie et Gestion. Certaines listes anciennes sont visibles sur le site du CNU (la plus récente, en Info-Comm) ou plus ou moins aléatoirement dans des résultats de requêtes sur des moteurs de recherche, avec un degré d'actualité discutable (cf. notamment Archives). Voir aussi infra le lien vers le diaporama "Bibliométrie en Sciences humaines et sociales : le cas particulier des revues".
- L’Alliance thématique nationale des sciences humaines et sociales Athéna a plaidé en 2012 en faveur de la publication périodique en langue anglaise
- La Conférence des Publications de Psychologie en langue française (CPPLF), exemple d’une initiative disciplinaire spécialisée dont la méthode est applicable à d’autres
C’est, d’une manière générale, le périodique qui est mis en avant. Les autres modes de publication, le livre en particulier, font l’objet de signalements dans les rapport annuels ou contractuels des unités en vue de leur valorisation. Le support de signalement RIBAC [Recueil d'Informations pour un oBservatoire des Activités de reCherche en SHS], initiative de l’IN-SHS du CNRS et d’institutions associées, permet aussi la présentation d’items de travail et de compétences reconnues hors d’un cadre abusivement exclusif et inadapté de « publications de rang A ». La philosophie de la caractérisation sous-jacente à RIBAC a bénéficié à l’ensemble de la communauté SHS et exercé une influence patente sur les modalités d’évaluation du domaine qui suivirent.
Le référentiel de l’AERES de 2012 avait également défini toutes sortes d’items de travail destinés, non plus à évaluer dans un sens élitiste classifiant, mais à caractériser les activités des entités de recherche. Sont alors évoqués des « critères, faits observables et indices de qualité ». Organisation et catalogues d’expositions, posters, tutoriels, logiciels, traductions, éditions annotées etc. côtoient d’autres « faits observables ». Les rééditions actuelles du référentiel HCERES confirment cette orientation.
Enfin, nous avons évoqué l’outil Journalbase rendu public par l’IN-SHS du CNRS en 2011. Il collationne les titres de périodiques en SHS au plan international à partir de 5 bases : AERES, ERIH, Arts & Humanities Citation Index, Social Sciences Citation Index et Scopus (d’Elsevier).