Thématique : Mythe et histoire - méthode, sources, corpus
Intervenants
- Violaine Sebillotte, professeur, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, directrice de l’UMR 8210 ANHIMA, qui intervient plus particulièrement sur la question du mythe et de l’histoire ;
- Sébastien Dalmon, conservateur responsable du CADIST Antiquité, Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne, qui intervient plus particulièrement sur les ressources documentaires sur le mythe.
Résumé
- Mythe et histoire : épistémologie et historiographie ; l'exemple du mythe des Amazones
Violaine Sebillotte introduit cette séance en mentionnant la difficulté de cette question, notamment pour les étudiants.
présentation de Violaine Sebillotte (NB : dans la suite, le terme "dia n°..." renvoie aux numéros des diapos de la présentation)
exemplier de Violaine Sebillotte
Elle commence sa présentation par une remise en contexte des questions d’histoire et de mythe [dia 1-6].
- l’histoire : l’histoire est avant tout une discipline, illustrée dès la première moitié du XIXe s. par la publication de l’Altertumswissenschaft de Pauly. Selon les principes que l’on trouve à l’œuvre dans l’école méthodique ou positiviste, très influente entre la fin du XIXe s. et la première moitié du XXe s., le but était de présenter l’ensemble des ressources d’une époque, bien loin de la pratique même des Grecs de faire de l’« histoire ». De fait, c’est Cicéron qui peut être considéré comme fondateur de la notion d’« histoire » telle qu’on la conçoit de nos jours, posant la différence entre historia, dont chaque détail doit se reporter à la vérité, et poema, qui est lié au plaisir, à l’esthétique, à ce qui n’est pas vrai. Or, au Ve s. av. J.-C., cette distinction entre ce qui serait vrai et ce qui serait faux n’est pas d’actualité. Quand bien même serait-il l’un des premiers à enquêter et faire des recherches (historiês, i.e. recherches, souvent faussement traduits par « histoires »), Hérodote n’en vise pas moins un travail de mémorisation, d’enregistrement des hauts faits le rapprochant de la poésie épique – on se souviendra d’Homère et de l’Illiade ou du travail des « antiquitaires » par opposition aux historiens. Quant à Thucydide, s’il se démarque d’Hérodote en se présentant comme un écrivain (sungrapheus) arbitre qui saurait discriminer entre le vrai et le faux et vérifier l’authenticité des sources, son travail se rapproche davantage de celui du journaliste que de l’historien actuel : il se rend sur les lieux, il interroge les témoins et leurs discordances, mais son Histoire de la guerre du Péloponnèse ne s’intéresse qu’aux éléments contemporains. De nos jours, l’historien devra néanmoins savoir garder un certain équilibre entre les tendances moralisatrices d’un Hérodote, déjà dénoncées par Plutarque, et les tendances trop psychologiques d’un Thucydide, en prenant en compte tous les apports et les évolutions de la science historique, par exemple la question des rapports de forces mis en lumière par l’école de pensée marxiste.
- le mythe : reste la question de la position de l’historien face à des textes incroyables. Si l’on suit la définition de Claude Calame dans Qu’est que la mythologie grecque ?, le mythe est composé de quatre éléments : une narration (histoire comme récit) ; un temps invérifiable (problème vis-à-vis de l’Histoire) ; des éléments incroyables (personnages surnaturels) ; une valeur émotionnelle (superlatifs…). C’est Marcel Detienne qui, dans L’invention de la mythologie (1981), est l’un des premiers à mettre l’accent sur le fait que le terme « mythe », malgré son évidente origine grecque, est un terme moderne, une catégorie récente (XVIIIe s. et surtout XIXe s.), appliquée à un certain type de récit, jusque-là désigné sous le vocable de fabulae (cf. Cicéron). Problème : si c’est une notion contemporaine, est-ce pertinent de l’utiliser pour parler du discours antique ? Faut-il revenir aux termes indigènes grecs (palaia, archaia) ? Le terme de « mythe » a lui-même une histoire ; quand on trouve le terme grec muthos, on lui associe l’idée contenue de fable dans le terme français « mythe », et on tend à faire une distinction entre muthos et logos… Dès lors comment choisir entre muthos et logos qui peuvent ne pas avoir le même sens chez nous ou chez les Grecs, voire chez les Grecs entre eux ? Par exemple, si le terme de muthos désigne chez Homère un type de discours, il désigne chez Hésiode spécifiquement le discours, la parole des muses et, dans les faits, muthos et logos peuvent même être interchangeables et difficiles à distinguer dans les textes des VIIe-VIIIe s. De la même façon, les personnes qui racontent les premiers éléments d’une cité se désignaient comme « logographes » et sont désignés de nos jours sous le terme de « mythographes »… Il convient de lutter contre les présupposés contemporains sur ces discours. Pour les anciens, les discours sont « fabriqués » pour une occasion (commande de cités pour des généalogies remontant à des héros, tragédies, discours d’orateurs…). Et si le contexte de production varie, il n’est pas question de vrai ou faux ; la construction n’est pas forcément porteuse de mensonges mais doit poser la question du référent réel. Pour C. Calame, le mythe relève du domaine fictionnel, et doit répondre aux questions traditionnelles de l’analyse des sources : mode de construction, contexte de fabrication (pourquoi, comment, référents réels : auditeurs, attentes…). Ces textes sont un moyen d’assurer le dialogue, une communication évidente entre le producteur du discours et le public. C’est ainsi que le discours sur la fondation de Cyrène est certes perçu comme merveilleux de nos jours mais apporte des éléments de contexte sur la refabrication d’un passé.
Violaine Sebillotte aborde ensuite l’exemple plus particulier du mythe des Amazones [dia 7-37]. Elle rappelle pour commencer que « le » mythe des Amazones est en fait constitué de données extérieures hétérogènes (Strabon, Diodore…), composant des récits potentiellement cohérents en interne, mais en contradiction entre eux (pays d’origine, périodes…) et dont le seul point commun est la référence à des femmes guerrières. La question-réflexe de l’historien « Y a-t-il du vrai là-dedans ? » ne peut qu’appauvrir le mythe en le considérant comme le reflet nécessaire et le strict enregistrement d’une réalité. Or, pendant très longtemps, les travaux sur les Amazones ont été freinés par le présupposé qu’une femme ne peut porter les armes et on a longtemps essayé de prouver l’existence de femmes guerrières – attitude encore reflétée dans le dernier ouvrage d’Adrienne Mayor, The Amazons (2014). Néanmoins, les apports de l’anthropologie viennent progressivement remettre en question cette déconnection totale d’un quelconque référent. C’est d’une part, l’anthropologie structurale, dans la lignée des travaux de C. Lévi-Strauss et F. Héritier, qui insiste sur les continuités quels que soient les lieux et les civilisations. C’est d’autre part, l’anthropologie historique, dans les années 1970-2000 et à l’instar des travaux de F. Lissarrague sur les vases, qui met en valeur l’existence d’un imaginaire au sein de la culture matérielle, complémentaire de la culture textuelle et posant les mêmes questions : les vases présentent certes un énoncé visuel, mais portent en eux des référents et un contexte particulier (commande…) qu’il convient d’interroger et de comparer.
Actuellement, on peut diviser le mythe des Amazones en trois grandes catégories, suivant peu ou prou la chronologie et couvrant tous les types d’expression, quand bien même la représentation visuelle ne répond-elle pas nécessairement à la tradition textuelle :
- 1° l’énoncé héroïque grec, à partir des premières représentations des VIe-VIIe s. : on observe des représentations guerrières typiquement grecques. Hommes et femmes sont représentés au même niveau de fictionnalité, dans le même univers et la même temporalité (présence des noms, armement typiquement grec…) : les femmes peuvent se livrer à des activités héroïques au même titre que les hommes [dia 11-19] ;
- 2° l’énoncé de l’« étranger différent », à partir de la fin du VIe s. et surtout au Ve s., sans faire disparaître cependant le premier énoncé : les guerrières portent désormais des vêtements et des armes distinctifs, souvent issus des peuples de la mer Noire (Scythes, Thraces : arc, bonnet, haches…). Peut-être s’agit-il de la volonté des producteurs de vases de renouveler leur répertoire ; peut-être est-ce lié aussi pour les Grecs à la connaissance de femmes guerrières dans certaines régions (on rappellera que, dans un contexte particulier, 20 % des sépultures féminines peuvent contenir des armes) [dia 20-25] ;
- 3° la mise en scène des Amazones sous forme d’amazonomachie, souvent dans des sculptures, comme au Parthénon : dans le contexte particulier des guerres médiques, les frises du Parthénon illustrent les luttes de la Grèce contre les Barbares, des forces de l’ordre contre les forces du désordre : au même titre que l’on trouve la lutte contre des centaures (animaux) ou des géants (monstres), on y trouve la lutte contre des femmes qui combattent. Parallèlement, fin Ve s., de nouveaux éléments viennent compléter l’image générale des Amazones comme des femmes détestant les hommes (visions d’Hippocrate, Lysias…). On prendra garde cependant à ne pas se focaliser uniquement sur cette vision attique, qui certes a connu le plus grand développement mais ne reflète pas la réalité complexe de l’époque. Par exemple, la commande de statues d’Amazones à Ephèse en 430 pour illustrer les origines de la cité révèle une culture panhellénique en contradiction avec la culture attique et athénienne. Une nouvelle fois, on voit la nécessité de remettre en cause l’historiographie et le contexte de production de toute source [dia 26-36].
A une question sur l’existence de femmes gladiateurs, V. Sebillotte répond qu’il est important de faire porter les études sur les femmes dans ces positions (femmes gladiateurs, femmes guerrières…) et de réaliser des séries statistiques vis-à-vis des hommes dans la même position, des femmes dans les spectacles en général…
- Ressources documentaires sur le mythe (bibliographies, dictionnaires, ouvrages de référence, bases de données...) : approche critique
Sébastien Dalmon prend alors la parole pour présenter les sources utiles en sciences de l’Antiquité (littérature, archéologie…). Sa présentation se divise en 8 parties :
- bibliographies ;
- dictionnaires et encyclopédies ;
- grande synthèses en français ;
- grandes synthèses en anglais ;
- les anciens mythographes ;
- l’influence des mythes dans la littérature et dans l’art ;
- mythe et iconographie ;
- sites internet et bases de données ;