Thématique : Les sources iconographiques pour la période médiévale

Intervenants

  • Michel Pastoureau, archiviste paléographe, directeur d’étude à l’EPHE où il occupe la chaire d’histoire de la symbolique occidentale
  • Anne-Sophie Traineau-Durozoy, archiviste paléographe, conservateur des bibliothèques au SCD de Poitiers où elle est responsable du CADIST du Moyen Âge, et auteur d’une thèse en iconographie médiévale.

Résumé des interventions

Michel Pastoureau introduit la séance en revenant brièvement sur les évolutions qu’a connues l’histoire de l’image depuis 40 ans, parallèlement au développement du numérique. Soulignant que les gens de sa génération sont globalement méfiants vis-à-vis du numérique, voire « perturbés », il rappelle alors les nombreux changements qu’il a lui-même connus, entre le moment où il était étudiant au tournant des années 1970 et aujourd’hui. Changements qui ne furent pas toujours positifs : si les premiers temps correspondaient à un certain espace de liberté (le temps où l’on pouvait faire ses photos soi-même), ils ont cédé la place depuis à des barrières beaucoup plus restrictives (questions juridiques notamment), qui peuvent justifier le choix de sujets d’études plutôt que d’autres. Néanmoins, l’accès plus facile aux images a permis l’autonomisation progressive d’une discipline parallèle à l’histoire de l’art, celle de l’histoire des images. M. Pastoureau rappelle alors que les historiens de l’art ne virent pas toujours d’un bon œil cette arrivée des historiens dans ce qui fut longtemps leur chasse gardée.

Encadrant régulièrement des étudiants, Michel Pastoureau est à un poste d’observation privilégié pour observer les évolutions des pratiques de recherche induites par le numérique, et cela de manière plus évidente encore ces dix dernières années, avec l’accélération des ressources en ligne. De fait, le travail des étudiants en histoire de l’image, de l’art, de l’iconographie présente des changements notables de leur manière de travailler :

  • un accès de plus en plus abondant et facilité aux ressources permet assurément un repérage plus facile des informations, d’autant plus qu’une partie des outils au moins proposent des fonctionnalités de tris, de zooms ou de statistiques. Mais ces avantages sont contrebalancés par une « certaine paresse » : les étudiants se contentent des banques d’images sans aller voir les documents d’origine, ni chercher les documents absents des banques d’images. Cela conduit à une surreprésentation des miniatures, très référencées en ligne et qui ne sont pas la source iconographique principale pour la période, au détriment des monnaies et des sceaux, beaucoup plus conservés, mais peu mis en ligne ;
  • les limites des banques d’images elles-mêmes sont ignorées. Or, trop de banques présentent, notamment, les images hors contexte, sans cadre ou indication de taille, entraînant une perte d’informations importante. Dans un bestiaire par exemple, il est intéressant de savoir où se trouve la baleine ; quels sont les animaux qui la précèdent ou la suivent ; quelle est sa taille par rapport aux autres, etc. Il ressort trop souvent que l’image n’est pas mise en série (même type d’image, même unité documentaire) ;
  • l’usage de l’écran ne rend pas davantage service au chercheur, qui est privé de tous les éléments matériels codicologiques associés (parchemin, filigrane…). Il en est de même pour la couleur, l’usage de l’écran faisant totalement disparaître la différence entre les couleurs mates et brillantes, qui avaient pourtant un sens à l’époque. Mais c’est sans doute l’or qui pâtit le plus de cette situation, tellement il est impossible à étudier autrement que sur le document réel. Situation que l’on retrouve pour le vitrail, qui vit avec la lumière du jour ;
  • enfin, M. Pastoureau se montre très pessimiste aussi sur les images présentées en ligne, mais qui sont totalement retravaillées pour éviter le piratage.

A ces limites liées au numérique, s’ajoutent les limites propres à la discipline de l’histoire de l’art :

  • les étudiants passent beaucoup de temps à constituer leur corpus, par peur de ne pas être exhaustif, alors même qu’être exhaustif ne sert à rien : à un moment, « ça tourne en rond ». Or, ce temps est pris à la réflexion et à la synthèse ; d’où la multiplication de thèses-catalogues, alors qu’il y a 50 ans, l’iconographie d’une thèse tenait certes dans une boîte à chaussures, mais le travail rendu était une véritable synthèse ;
  • autre danger qui menace tout historien de l’art, celui de l’anachronisme. Par exemple, il convient de ne pas prendre les représentations vestimentaires au 1er degré ou les considérer comme réalistes : ce serait un peu comme si l’on s’inspirait des magazines de mode pour connaître la mode actuelle. La question se pose pour tous les éléments visuels (couleurs, formes, nombres…). De même, faut-il accepter l’idée que l’on ne regardait pas l’image au Moyen Âge comme nous le faisons actuellement : si nous commençons par regarder le premier plan avant de regarder vers le fond, on sait que l’œil médiéval regardait d’abord le fond, puis les plans intermédiaires pour finir par le devant. D’où une certaine habitude à prendre quand on étudie l’image au Moyen Âge. Enfin, rappelons que les couleurs ne fonctionnaient pas de la même façon que pour nous : l’importance de la polychromie met bien en valeur des couleurs qui nous apparaissent comme contrastées, mais qui étaient perçues comme des camaïeux : l’alliance du rouge et du vert était ainsi considérée comme très douce ;
  • enfin, l’historien de l’art est confronté aux conditions d’accès matériel aux œuvres, qui ont considérablement évolué depuis le Moyen Âge. C’est particulièrement notable dans les musées : jusqu’au développement de l’électricité, le seul moyen d’éclairage était la flamme, soit une lumière qui bouge et fait bouger ; il était impossible d’éclairer de face ou d’éclairer de manière uniforme une grande surface (peinture murale, tapisserie….). M. Pastoureau raconte alors une anecdote sur l’exposition commémorative qu’a organisée le Louvre en 2004 pour le centenaire de la fameuse exposition du Louvre sur les primitifs, et pour laquelle personne ne s’était interrogé sur les modes d’éclairage des œuvres Il a fallu faire des recherches pour découvrir que les salles d’exposition du Louvre étaient déjà éclairées à l’électricité au début du XXe siècle.

Anne-Sophie Traineau-Durozoy prend alors la parole pour présenter les ressources numériques disponibles sur la question, en articulant son propos selon quelques grandes lignes :

  • introduction avec un essai de typologie, et comparaison numérique/papier ;
  • présentation des ressources incontournables ;
  • présentation de quelques autres ressources complémentaires, plus mal connues ;
  • point sur les moteurs et bases grand public.

présentation d’Anne-Sophie Traineau-Durozoy.

Parmi les questions soulevées à l’occasion de cette séance, M. Pastoureau souligne quelques points importants pour le chercheur :

  • les ressources : malgré le développement des ressources numériques, la proportion des ressources papier est toujours bien supérieure. Par ailleurs, il souligne le déséquilibre entre les ressources pour l’histoire religieuse et l’histoire profane, qui ne dispose pas vraiment d’outil. Enfin, il regrette le manque de visibilité des sceaux, tant en termes de travaux que de numérisation  (3% seulement des 150 000 sceaux des Archives nationales ?), alors même qu’ils constituent le type iconographique le plus conservé du Moyen Âge et qu’ils constituent un outil précieux pour le chercheur (indications d’attribution précises grâce à la date, le lieu, les signataires de la charte…) ;
  • questions de méthode : il convient de donner la priorité aux sites institutionnels, même si l’on y trouve aussi de nombreux déchets (datation, attribution…). Il regrette cependant la numérisation de ressources vieillottes (XIXe s. notamment) pour la seule raison qu’elles sont libres de droit, gommant plus d’un siècle de progrès de la recherche historique ;
  • En tant qu’utilisateur, il convient également de multiplier les tests pour se faire une idée du contenu de la base, de son ergonomie ou de son intérêt. De même, il ne faut pas refuser, a priori, les images médiocres ou répétitives car elles permettent aussi de faire un tri préparatoire, souvent nécessaire ; tandis que la multiplication des thesauri et des systèmes d’indexation, dont la consultation est certes chronophage, fournit au gré des plan de classement des idées complémentaires ;
  • des évolutions du travail du chercheur ? : M. Pastoureau souligne à nouveau les évolutions induites par le développement du numérique chez les (jeunes) chercheurs qui développent des recherches (et des profils) de plus en plus étroites et spécialisées ; il rapproche d’ailleurs cette situation du travail en bibliothèque : au libre accès qui permet de « papillonner », de « rêvasser », s’oppose le vaste territoire des collections en magasin. Perdus face à l’explosion des ressources numériques et soumis à une pression toujours plus grande en termes de temps, les jeunes chercheurs ne cherchent plus que ce qui est directement utile pour leur travail de recherche, alors même que les vraies découvertes se situent au carrefour des recherches et des influences. La situation est d’autant plus difficile pour le jeune chercheur qu’il manque du bagage propre au chercheur plus avancé.

M. Pastoureau conclut cette séance en estimant que nous sommes actuellement dans une période intermédiaire, avec des projets bien installés, d’autres en cours, mais encore beaucoup de projets empiriques, et que nous manquons encore du recul suffisant pour voir combien le numérique sert ou dessert la recherche.

Ressources complémentaires

Ménestrel : http://www.menestrel.fr/.

Michel Pastoureau.  « Couleurs du Moyen Age ». Initiation à l'histoire des arts. Cycle de conférences données au musée du Louvre. Novembre-décembre 2012. [en ligne]. Disponible sur : http://www.louvre.fr/cycles/initiation-l-histoire-des-artsbr-michel-pastoureau-couleurs-du-moyen-age/presentation#tabs.